Il existe des recettes qui traversent les générations, se transmettant de mère en fille, chacune y ajoutant sa touche personnelle. C’est le cas de la Blitz Torte, littéralement « tarte foudroyante » en allemand, un gâteau à étages aussi riche en saveurs qu’en histoire familiale. Laissez-moi vous conter la fascinante épopée de ce dessert pas comme les autres.
Une histoire de famille haute en couleur
Dans ma famille, les femmes ont toujours eu une relation compliquée avec la pâtisserie. Ma mère aurait préféré avaler des pilules que d’allumer un four, et ma grand-mère voyait rouge dès qu’il fallait sortir le beurre et le sucre. Alors quand j’ai décidé de devenir pâtissière, cela en a étonné plus d’un !
En remontant l’arbre généalogique, on découvre que la seule véritable pâtissière de la famille était mon arrière-grand-mère Louise. Née à New York au début du 20e siècle dans une famille germano-lituanienne, c’était une femme élégante et raffinée, mais avec un caractère bien trempé. Après un mariage arrangé et un enfant, elle a fait scandale en demandant le divorce, chose rarissime à l’époque. Mais Louise était une battante, une renarde qui ne se laissait pas dicter sa conduite.
La tarte d’anniversaire tant attendue
Dans sa nouvelle famille, Louise avait instauré une tradition : pour chaque anniversaire, elle préparait le gâteau préféré du concerné. Et pour mon grand-père, c’était immanquablement la Blitz Torte. Ce gâteau à étages peu conventionnel marie un biscuit au beurre presque sablé, une onctueuse crème à l’orange, une meringue craquante et des amandes effilées. Tout cela avec une poignée d’ingrédients : des blancs d’œufs pour la meringue, les jaunes pour le gâteau, le zeste et le jus d’une orange, de la farine, du sucre, du beurre salé et une lichette de vanille.
Lorsque mon grand-père s’est marié, ma grand-mère a hérité de la lourde tâche de confectionner la Blitz Torte. C’était son devoir d’épouse, pensait-elle. Mais Louise, sa belle-mère, ne l’aimait guère. Alors quand ma grand-mère lui a demandé la recette, Louise a refusé net de la lui donner !
La malédiction de la Blitz Torte
Sous la pression, Louise a fini par céder. Mais en réalité, elle avait subtilement modifié les proportions. Pendant 60 ans, le gâteau n’a cessé de s’affaisser, de se désagréger, d’être trop sec ou trop dense. Une véritable malédiction ! Même quand ma mère a repris le flambeau, en suivant scrupuleusement la recette recopiée par ma grand-mère, rien n’y faisait.
Un jour, alors que j’étais de passage chez mes parents, ma mère était en train de préparer la fameuse Blitz Torte. Excédée, elle m’a tendu son tablier en déclarant : « Toi qui es pâtissière, occupe-toi de ce maudit gâteau ! »
Le secret de Louise enfin percé
En parcourant la recette, un détail m’a interpellée : il était indiqué de préparer le gâteau en premier, puis de monter les blancs en neige dans le même bol sans le nettoyer. Or, la moindre trace de gras empêche les blancs de bien mousser. J’ai donc inversé les étapes, en prenant soin de bien laver le bol.
Et là, magie ! Pour la première fois depuis près de 70 ans, mon grand-père a eu droit à la Blitz Torte de son enfance. Un gâteau aérien et crémeux, délicat et gourmand à la fois. Mon grand-père, du haut de ses 92 ans, avait les yeux qui pétillaient. « C’est la meilleure Blitz Torte que j’ai jamais mangée » s’est-il exclamé avant de se resservir.
Louise, cette fine mouche, avait trouvé un moyen détourné de se venger de sa belle-fille en modifiant subrepticement la recette. Cela collait bien avec son tempérament malicieux. On raconte même qu’un jour, juste après ses études, Louise avait servi un verre d’eau à une personne qu’elle n’aimait pas. Ce n’est qu’après le départ de l’invité qu’on a découvert qu’elle avait rempli le verre avec l’eau des toilettes !
La recette de la réconciliation
La Blitz Torte a finalement réuni notre famille autour de son histoire rocambolesque et de ses saveurs incomparables. Aujourd’hui, je perpétue cette tradition avec fierté, en y mettant ma patte de pâtissière. Je vous livre ici la véritable recette de Louise, en espérant qu’elle vous apportera autant de bonheur qu’à nous.
Ingrédients pour la meringue | Ingrédients pour le gâteau | Ingrédients pour la crème à l’orange |
– 4 blancs d’œufs à température ambiante – 250 g de sucre – 1 càc de vanille – 1/2 càc de vinaigre blanc |
– 160 g de farine – 1 càs + 1 càc de levure chimique – 60 g de beurre mou – 125 g de sucre – 4 jaunes d’œufs – 2 càs de lait – 125 g d’amandes effilées |
– 1 orange bio – 60 g de beurre mou – 125 g + 2 càs de sucre – 2 gros œufs |
Préchauffez le four à 180°C. Graissez et farinez généreusement deux moules ronds de 22cm.
Pour la meringue : montez les blancs en neige ferme avec le sucre, la vanille et le vinaigre. Réservez.
Pour le gâteau : mélangez la farine et la levure. Dans un autre bol, battez le beurre avec le sucre. Ajoutez les jaunes un à un, puis le lait. Incorporez le mélange farine-levure. Répartissez la pâte dans les moules et lissez. Couvrez de meringue et parsemez d’amandes. Baissez le four à 160°C et enfournez 25 min. Éteignez le four, entrouvrez la porte et laissez refroidir 10 min avant de démouler.
Pour la crème à l’orange : zestez et pressez l’orange. Fouettez le beurre avec le sucre. Incorporez les œufs puis le jus d’orange. Faites épaissir au bain-marie en fouettant 10 min. Hors du feu, ajoutez le zeste. Laissez refroidir.
Étalez la crème sur un disque de gâteau, couvrez avec le second. Servez sans attendre ou gardez au frais 3 jours.
Régalez-vous bien et pensez à Louise, cette sacrée grand-mère qui n’avait pas sa langue dans sa poche !